Entretien réalisé par Amokrane H.
Il est économiste. Mohamed Achir a proposé sa recette pour voir l’entreprise algérienne renaître de ses cendres et relever le défi de la croissance. Il estime qu’il faudrait une réelle autonomie et une refondation de leur système de gouvernance selon les règles de la commercialité, de la concurrence et profitabilité. Selon lui, l’économie nationale recèle un grand potentiel, mais très faiblement activé et capitalisé par les entreprises publiques et privées. Pour cet expert, le nouveau modèle économique soutenu par le gouvernement doit s’orienter davantage vers le développement des entreprises compétitives.
Le gouvernement mise sur l’entreprise pour assurer la réussite de son nouveau modèle économique. Celle-ci est-elle en mesure de relever ce défi et d’en être à la hauteur des attentes des pouvoirs publics ?
L’entreprise est fondamentalement le meilleur levier de création de la richesse et de l’emploi dans une économie. C’est pourquoi toutes les politiques économiques des pays développés, notamment, se fixent comme objectif prioritaire la création des meilleures conditions susceptibles de favoriser l’entrepreneuriat et l’investissement des entreprises nationales et étrangères. En Algérie, les opportunités d’investissement existent dans pratiquement tous les secteurs d’activité. Autrement dit, l’économie algérienne recèle un grand potentiel, mais très faiblement activé et capitalisé par les entreprises publiques et privées. Nous avons d’ailleurs des faiblesses structurelles dans la création des nouvelles entreprises. Les 9 premiers mois de l’année 2020 ont vu une création de quelque 107 967 nouvelles entreprises, dont 90 780 composées de personnes physiques et seulement 10 887 personnes morales, soit 10%. Cela relève une faible création d’entreprises par rapport au potentiel existant et surtout la prépondérance du statut de la personne physique et de la très petite entreprise. Le nombre d'entreprises qui ont cessé l’activité durant cette période a atteint environ 50 mille entreprises, cela montre les difficultés rencontrées par ces dernières et les effets de la crise sanitaire de la Covid-19. En tout cas, l’Algérie a besoin de créer des centaines de milliers d’entreprises par an pour relever le défi de la croissance et de la création d’emploi. Le nouveau modèle économique soutenu par le gouvernement doit s’orienter davantage vers le développement des entreprises compétitives.
Qui empêche réellement l’entreprise algérienne d’atteindre un haut niveau de performance ? (Les raisons d’un manque de performance)
Plusieurs causes peuvent être citées, mais sans pour autant les détailler. En somme, il y a des causes qui sont liées à l’environnement de l’investissement ou le climat des affaires, qui est très défavorable à l’égard de l’entreprise avec un classement à la 157e place dans le monde dans le doing business établi par la Banque mondiale (BM) en 2019. Le système bancaire et financier algérien, les institutions et l’administration, l’insécurité juridique et l’instabilité des décisions du gouvernement, la corruption, les technologies de l’information et de communication, la valorisation de la recherche scientifique et universitaire etc., sont autant d’éléments dont l’Algérie a eu de mauvaises notes dans l’évaluation faite par la BM. Nous pouvons également citer les faiblesses structurelles dans le management des entreprises publiques et privées.
Quels sont les défis auxquels les entreprises sont et seront confrontées. Est-il de l’intérêt de nos entreprises d’apprendre à composer une politique qui soit celle du monde ?
L’entreprise en Algérie est très fortement influencée par les effets pervers de l’économie rentière et la distribution de la commande publique, surtout le cas des entreprises publiques. La majorité de ces dernières est très peu compétitive et souffre dans leur organisation managériale qui ne répond pas aux standards internationaux. En effet, le management est réduit à une fonction décorative, puisque ce sont les structures politiques et bureaucratiques centrales qui détiennent le pouvoir de décision. C’est l’une des caractéristiques des régimes politiques rentiers. Le management est un élément structurel, il faudrait une réelle autonomie des entreprises et une refondation de leur système de gouvernance selon les règles de la commercialité, de la concurrence et profitabilité. Toutefois, en plus des facteurs structurels, les déséquilibres financiers des EPE peuvent être expliqués par des éléments conjoncturels liés à l’environnement économique global du pays. En effet, on peut citer : les départs massifs à la retraite surtout depuis 2016, la dévaluation du dinar algérien, la concurrence déloyale et l’augmentation des coûts d’achats et des implorations des CKD ont affaibli les trésoreries de la majorité des entreprises publiques. Les entreprises privées doivent également faire face au défi de la compétitivité et envisager leur insertion dans l’économie mondiale.
La crise a fait mal. Faut-il, néanmoins, la prendre comme une occasion et non comme une fatalité pour se lancer dans l’innovation?
Bien entendu, on peut transformer une crise en opportunité, mais avec une planification stratégique et une vision globale et cohérente. Il faut mettre fin à la centralisation de la décision, donner une réelle autonomie aux entreprises et revoir les attributions des organes bureaucratiques (CPE, CNPE, Ministères etc.). Il faut également bannir dans le secteur public économique les nominations tendancieuses ou partisanes, les interférences politiques et même syndicales et créer une sécurité juridique permettant aux dirigeants de prendre des initiatives entrepreneuriales en fonction du coût d’opportunité et de la rentabilité. Autrement dit, une primauté de la rentabilité économique sur la procédure juridique. Je pense que pour le moment l’Etat n’a pas encore fixé une stratégie nationale de management des EPE. Ce qui d’ailleurs rend difficile leur évaluation en termes des objectifs économiques (participation à la croissance économique, performances financières) et sociaux (équité et politique publique de l’emploi). Autrement dit, le secteur public économique doit être inséré dans une politique économique nationale et lui donner des objectifs mesurables à atteindre en termes de performance économique et sociale. Les entreprises algériennes en général (publiques et privées) doivent impérativement relever le défi de l’innovation technologique et de la recherche et développement, car ce sont les leviers qui tirent la productivité des facteurs et la compétitivité.
Les années à venir s’annoncent difficiles. D’aucuns estiment que seules les entreprises qui «seront plus aptes à tirer profit des opportunités et réduire les menaces auxquelles elles seront confrontées» peuvent tirer leur épingle du jeu. Partagez-vous cet avis ?
Bien entendu, il n’y a que les entreprises compétitives ayant une veille concurrentielle et technologique qui peuvent résister sur un marché globalisé et tiré par l’internationalisation de la concurrence. L’entreprise doit développer des leviers de compétitivité lui permettant de s’insérer dans la chaîne de valeur mondiale. Nous sommes à l’ère du capitalisme cognitif dont les leviers de recherches technologiques et numériques sont devenus déterminants dans la concurrence des firmes multinationales et la pénétration des marchés internationaux. Cela veut dire que les économies d’échelle et les avantages comparatifs classiques en dotation de ressources sont insuffisants sans la maîtrise des connaissances technologiques. C’est la fin, justement, de l’entreprise traditionnelle.
A. H.